24 Mars 2024
Le 27 février 2024, de nombreuses reliures de Daniel Knoderer ont été vendues aux enchères à Nice. Par son style unique et composite, Knoderer représente une façon d'envisager la reliure de création qui laisse la place libre au relieur-artiste. Cette approche rend donc souvent la reliure plus importante que le livre qu'elle contient. C'est sur ces quelques considérations que nous allons analyser les différentes tendances qui parcourent la reliure de création de la fin du XXème siècle et du début du XXIème.
Avant d'aller plus loin, il nous faut délimiter le champ couvert par l'expression "reliure de création". Si la reliure "classique" cherche avant tout à protéger et rendre manipulable l'ouvrage qu'elle habille, la reliure de création cherche elle à exprimer un point de vu sur le livre qu'elle contient. Pour certains, elle doit préparer le lecteur, être une sorte de porte d'entrée vers le livre. Pour d'autres, elle doit l'illustrer, dire explicitement ce qu'elle renferme. Mais dans tous les cas, c'est une sorte de reliure qui sort des sentiers battus par les matériaux employés dans sa réalisation, ou par sa structure générale qui sort du cadre. Ainsi nous en arrivons à l'épineuse question des reliures à décor débordant.
Les reliures à décor débordant ou en relief sont souvent à l'origine d'une gêne dans le rangement d'une bibliothèque. Conçues comme des sculptures qu'on expose, elles ne supportent pas le voisinage d'autres reliures qu'elles risquent d'égratigner avec leur décor. De plus, selon l'excentricité de leur décor, leur manipulation est rendue périlleuse. Faut-il alors les proscrire sous prétexte qu'elles sont difficiles à manipuler, à ranger et que cela perturbe les sages rayonnages des bibliophiles ? Faut-il condamner le relieur à la mosaïque lorsqu'il veut créer ?
Si la gêne principale vient des difficultés de rangement et de conservation des reliures à décor en relief, alors pourquoi ne pas prévoir des étuis et coffrets destinés à protéger la reliure et à la ramener dans le droit chemin du rayonnage de bibliothèque. Toutefois cette solution ne résout pas le problème de la manipulation. La reliure décorée reste difficile à prendre en main, n'invite pas à la lecture et finit par vampiriser le livre qu'elle contient. Une solution à ce problème est peut-être à trouver dans les recherches récentes de Rubens Lanquar sur ses "reliures berceau". Celles-ci consistent en la réalisation d'un étui décoré en relief, un berceau, dans lequel vient se loger une reliure sobre et lisse. Ainsi, c'est l'étui qui devient le décor de la reliure et le livre reste facilement manipulable.
La reliure a encore bien des chemins inexplorés à découvrir, voire des chemins oubliés à redécouvrir. Les possibilités sont tellement variées et les matériaux sans cesse renouvelés qu'il serait criminel pour le relieur du XXIème siècle de se borner à la réalisation de demi-reliures à coins sans avoir l'audace de tester parfois un hors-piste.